Interview de Jean-Claude Heudin
Professeur et chercheur en Intelligence Artificielle
Nous avons le plaisir d’accueillir cette semaine sur notre blog, Jean-Claude Heudin, professeur et chercheur en intelligence artificielle. Jean-Claude Heudin a bien voulu partager avec nous son regard d’expert dans ce domaine.
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
La définition de l'intelligence artificielle (IA) telle qu'elle a été définie en 1956 est de “faire faire par des machines des tâches qui pour les humains demanderaient de l'intelligence”. Pour Jean-Claude Heudin l’IA consiste à « réaliser des systèmes qui vont simuler l'intelligence humaine » mais pas uniquement. « L'intelligence est plus large. Elle est partout dans la nature. Dans un essaim d'abeille par exemple, il existe tout un système collectif intelligent qui inspire de nouveaux algorithmes... »
Qui est Jean-Claude Heudin ?
Jean-Claude Heudin a une formation en électronique à la base. Il a obtenu un doctorat en informatique et plus particulièrement en intelligence artificielle à l'université d'Orsay. Quelques années plus tard, en tant que chercheur, Jean-Claude Heudin a passé l'accréditation pour diriger des recherches.
Jusqu'en juin 2017, Jean-Claude Heudin a partagé son temps entre cette activité de recherche et 2 autres activités importantes : l’enseignement et la gestion de l'Institut de l'Internet et du Multimédia (IIM), première école du web fondée en 1995, qu’il a dirigée entre 2012 et 2017.
Aujourd’hui, il se consacre essentiellement à ses travaux de recherches ainsi qu'à l'écriture. Il donne également beaucoup de conférences grand public ou professionnelles pour parler de ces nouvelles technologies.
Depuis 6 ans, Jean-Claude Heudin a décidé de créer sa propre maison d'éditions "Sciences E-book" qui lui permet d'avoir une liberté sur ses choix éditoriaux.
L’un de ses derniers ouvrages s’intitule "L'intelligence artificielle : manuel de survie". Il répond aux questions que l'on se pose sur l'IA.
Et maintenant place à notre interview.
Quels sont les aspects de votre métier qui vous passionnent le plus ?
L'intelligence artificielle est une discipline motivante. Elle adresse des questions qui sont à la fois scientifique, technologique, mais également de société, de réflexion sur l'humanité, sur ce que nous sommes, sur ce qu’est l'intelligence. C'est cette richesse qui m'intéresse, pas seulement scientifique, mais aussi dans sa dimension culturelle et populaire.
Aujourd'hui lorsque nous parlons d'IA, ce terme évoque énormément de choses dans l'imaginaire populaire. Par exemple, le film 2001 l'Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrick posait des questions essentielles en lien avec l’IA que nous nous posons encore aujourd'hui. Le long métrage Her de Spike Jonze est l’un des rares films positifs sur l'intelligence artificielle qui pose également des problématiques intéressantes.
Aujourd'hui la recherche ne peut se faire dans son petit coin tout seul.
Dans la recherche, ce qui me plaît c'est aussi de s'attaquer à une problématique scientifique, d'avancer, de découvrir de nouvelles choses, d'apprendre. Lorsque nous apprenons, ce n’est pas uniquement sur un domaine particulier, nous apprenons d’abord sur soi, et sur les autres.
Ecrire, c'est découvrir et ensuite partager.
L’écriture est un plaisir un peu solitaire qui permet aussi de poser les choses, de formaliser une pensée et de la transmettre.
Etre conférencier, c’est transmettre, vulgariser, simplifier des termes compliqués sans pour autant les abîmer.
“Il faut faire simple mais pas trivial” comme dirait Einstein. Lorsque je m'adresse au grand public, j'essaye toujours de faire en sorte qu'ils y prennent du plaisir et qu’une petite lumière s'allume dans leurs yeux. En ressortant, je veux qu’ils se sentent intelligents et moins exclus du sujet.
Les interactions qu'on peut avoir lors de ces conférences sont des expériences humaines, qui permettent aussi de savoir comment mes propres travaux peuvent être perçus.
Quels sont les métiers impactés par l’IA, les métiers émergents dans ce domaine ?
Les chercheurs en universités ou bien dans des laboratoires de recherche privés, ont une formation généralement classique, universitaire, avec des diplômes.
En entreprise, les profils d’ingénieurs avec une formation en mathématiques solide et une compétence en intelligence artificielle sont très recherchés.
Le deuxième socle important pour un ingénieur qui s’intéresse à l’IA sont les data sciences : l'utilisation des données. Aujourd'hui, l'utilisation de l'IA est complètement dépendante des données. D’ailleurs ce socle, devrait être présent dans tous les cycles de formation d’ingénieurs.
L'intelligence artificielle va également apporter de nouvelles techniques d'analyse et d'utilisation des grands volumes de données (big data). Il faut des spécialistes, appelés des data scientists qui soient capables de gérer les informations en mettant en place les algorithmes appropriés. L'IA peut désormais s'utiliser pratiquement dans tous les domaines, même dans les disciplines plus transversales comme le marketing.
L'Intelligence artificielle impacte également les Ressources Humaines.
L’IA impacte chaque entreprise et notamment les compétences des métiers. Les RH vont devoir mettre à jour leur vision des compétences.
En revanche, je ne crois pas à cette idée que l'IA va faire disparaître totalement certains métiers. L’IA va offrir de nouveaux outils qui vont permettre d'avoir plus de performance sur certaines tâches. Aujourd'hui il est rare qu'un métier = une compétence, c'est bien plus vaste.
Cependant l’IA n'a pas de sens commun, elle sera toujours utilisée par un humain ou par une équipe d'humains. Elle augmentera leur performance mais elle ne les remplacera pas.
Finalement l'IA est un peu la phase visible de l'iceberg de la transformation numérique.
On met beaucoup en avant l’IA et on a l'impression qu’elle change tout. Mais en fait c'est toute la transformation digitale qui est derrière, l'accès et le traitement des données... Tous les pays qui investissent dans cette transformation sont ceux qui ont les taux de chômage les plus bas. Le numérique aujourd'hui est le secteur qui embauche le plus devant tous les autres en France. Il y a 20 ans, dans ce secteur, 80% des emplois du web, du digital, que nous connaissons aujourd’hui n'existaient pas.
La relation client change également. L'IA permet d'envisager des nouveaux modes de relations avec les publics, par le langage naturel comme avec les assistants intelligents ou les chatbots. L’IA est aussi beaucoup utilisée par les constructeurs automobiles.
Ces avancées soulèvent des questions liées aux données privées et tous les sujets sont aujourd'hui sur la table.
Pour un jeune souhaitant s’orienter vers ce domaine, quels conseils lui donneriez-vous ? Quelles compétences clés lui conseilleriez-vous de développer ?
Pour commencer, il faut s'intéresser au domaine. Lire un peu et démystifier ce que l'intelligence artificielle recouvre.
Ensuite il existe 2 possibilités :
- Vouloir faire de la recherche dans ce domaine au sein d’un laboratoire. Dans ce cas-là, c'est vers l'université, avec un master puis un doctorat, que le jeune s'orientera.
- Participer à l’utilisation de l’IA dans une entreprise. Le cursus d'ingénieur avec des data sciences doit permettre d’atteindre cet objectif.
Plus largement, dans beaucoup d'autres métiers, on s'intéresse à cette discipline sans pour autant développer de l'intelligence artificielle. Dans des fonctions managériales et de marketing par exemple, les professionnels vont utiliser de plus en plus ces nouveaux outils. Un artiste peut aussi se former à l'IA pour revisiter ses pratiques artistiques et utiliser ces technologies.
Il faut donc se poser les questions suivantes : Dans les secteurs qui m'intéressent, dans les métiers qui m'intéressent, quel impact peut avoir l'intelligence artificielle ? Qu'est ce que l’IA peut changer ? Qu'est-ce qu’elle peut apporter de nouveau ? A quoi il faut faire attention ? etc.
La qualité la plus importante est la curiosité. Si nous ne sommes pas curieux il ne va pas se passer grand-chose.
La seconde qualité est la persévérance. La persévérance paie toujours, nous ne sommes pas devant des éléments forcément simples. La réalité est toujours un peu plus compliquée. Il ne faut pas s'arrêter aux premières difficultés et persévérer.
Merci à Jean-Claude Heudin d’avoir répondu à nos questions et pour le temps consacré.
Lien pour en savoir plus : Jean-Claude Heudin