Interview de David Huron
Directeur du Master 1 et 2 Management Public à l'IAE de Nice
Nous avons le plaisir d’accueillir cette semaine sur notre blog, David Huron, Directeur du Master 1 et 2 Management Public à l’IAE de Nice. David Huron a accepté de partager avec nous son expertise sur le management public.
Qui est David Huron?
Maître de conférences depuis 1999, David Huron a été un des premiers à faire une thèse en sciences de gestion sur le domaine du management public. Son thème portait sur la fonction de maire en tant qu’entrepreneur politique. Critique sur l’idée que l’on puisse gérer une commune comme une entreprise, David Huron a tenté de montrer dans sa thèse qu’il existait une réelle spécificité publique. Il s’est ainsi opposé aux formes les plus radicales du New Public Management (mainstream théorique), notamment celles considérant que l’on peut appliquer de manière indifférenciée les outils du privé au secteur public. Le New Public Management (NPM) est le fait d'appliquer les outils du privé au public de manière indifférenciée.
Après 3 années à l’Université de St-Etienne (IUT de Roanne), David Huron a été recruté à l’Université Nice Sophia Antipolis pour créer en 2004 le Master Management Public de l’IAE de Nice. Il a participé à la création de l'association internationale de recherche en management public (AIRMAP), dont il est depuis 2010, le secrétaire général. Cette association fédère actuellement 1500 chercheurs à travers le monde. David Huron, habilité à diriger des recherches, est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages (1).
Et maintenant place à notre interview.
Quels sont les aspects du management public qui vous intéressent le plus ?
J'ai toujours été intéressé par la chose publique. La chose publique consiste à essayer de prendre en compte le collectif pour tenter d'améliorer la société. Ça a toujours été mon Leitmotiv. C'est ce qui me fait avancer.
Les collectivités territoriales m’ont toujours intéressé car c'est un objet de recherche passionnant, toujours en mouvement, et proche de notre quotidien. Contrairement aux disciplines qui ne prennent traditionnellement en compte que le client (comme le marketing ou la finance par exemple), le management public local étudie l’habitant qui est certes client, mais également, consommateur, contribuable et électeur.
Pour avoir une vraie idée de ce que c'est que la société, il ne faut pas s’intéresser qu’au client comme c’est le cas du NPM.
Aujourd’hui quels sont les métiers dans ce domaine les plus recherchés par les structures ? Quels sont les métiers émergents ?
Il faut d’abord définir le management public. Le secteur public nous savons l'identifier : les administrations publiques, les collectivités territoriales, les entreprises publiques (détenues en majorité par l'Etat). Dans la sphère publique il peut y avoir d'autres entités comme le secteur du “non profit” avec les associations (ex : les restos du cœur), les entreprises privées, participant à des partenariats public/privé, répondant à des délégations de service public ou à des marchés publics. Le privé peut s'emparer parfois d'une activité qui normalement est gérée par le public.
Prenons l’exemple de McDonald’s. La marque fait de la publicité pour les qualités nutritives de ses repas. En parallèle, le Ministère de la Santé fait de la publicité pour lutter contre l’obésité avec la campagne « manger-bouger ». Il y a une complémentarité qui se fait et qui probablement agit contre la malbouffe et pour la lutte contre l'obésité. Ce lien est ténu, mais il existe.
La sphère publique étant donc très large, nous pouvons concevoir des métiers qui sont dans le public, dans le privé, ou entre les deux. Désormais il existe des organisations hybrides. Comme un aéroport par exemple. L'aéroport Nice Côte-d'Azur notamment est hybride parce qu'une partie est privée, l'autre partie est publique. Ces deux parties agissent ensemble pour un objectif commun. Les uns diront “c'est l'aménagement du territoire et le développement économique du territoire”. Les autres diront “nous avons une activité économique, c'est de faire venir le maximum de passagers et de faire en sorte qu'ils dépensent pour un maximum de services”.
Une des dimensions différente par rapport au privé concerne le concours de la fonction publique. La difficulté pour le jeune, est de connaître l'existence de ces concours et leur calendrier. Passer le concours de la fonction publique permet de se stabiliser.
Cependant aujourd'hui vous pouvez évoluer dans les collectivités territoriales sous le statut contractuel. Un individu en CDI peut se réaliser pleinement dans une collectivité publique. Il peut éventuellement tenter le concours parallèlement pour réintégrer ensuite la fonction publique. Ce statut contractuel peut également être plus intéressant financièrement. Un point important : le fonctionnaire progresse, il construit une carrière. Alors que le contractuel pourra au mieux renégocier son contrat.
Les métiers en management public sont pour beaucoup de la gestion de projet.
Le secteur public travaille énormément en mode projet que ce soit au niveau local ou national, et toujours en lien avec les disciplines classiques de la gestion (RH, contrôle de gestion, finance, pilotage, stratégie, communication, marketing…), et les thématiques sociétales (sport, culture, environnement…).
On retrouve cette logique à travers des postes de directeurs de services, responsables ou chefs de projet, ou chargés de mission. A l’IAE nous formons des cadres pour des postes de direction. Même s'ils ne seront pas directeurs tout de suite, nos diplômés passeront différentes étapes qui leur permettront d’atteindre à terme cet objectif.
Les métiers et domaines en management public sont multiples. Prenons des exemples pour illustrer cela.
J'ai un étudiant qui travaille actuellement sur le réaménagement d'un quartier difficile aux abords d'une gare. Il est vraiment en lien avec tous les partenaires, acteurs institutionnels ou privés, qui participent au réaménagement de ce lieu de vie. Il peut ainsi toucher du doigt un certain nombre de réalités humaines que nous ne voyons pas forcément dans les journaux télévisés. Dans une entreprise, quand on a une activité qui ne fonctionne pas on peut l'arrêter ou la vendre. Dans le secteur public, quand il y a un problème, il faut le résoudre. Sinon les problèmes empirent. C'est une différence fondamentale.
Une autre étudiante s’occupe des problèmes de dématérialisation au sein d’une préfecture. Cette dématérialisation a des conséquences sur les systèmes d'informations et d'organisation. C'est très intéressant car vous remettez à plat toute l'organisation d'un ou plusieurs services au sein d'une préfecture. La préfecture est quand même l'organisation qui est le relais de l'Etat sur le territoire.
Un autre étudiant travaille sur le lien avec les habitants. Comment faire en sorte de développer une démocratie participative ? Comment obtenir des décisions co-construites ?
Je ne peux pas faire une liste exhaustive des métiers liés à ces missions. Les métiers sont fondamentalement différents. Le dénominateur commun est bien souvent la gestion de projet.
Pour un jeune souhaitant s’orienter vers ces métiers, quelles compétences clés leur conseilleriez-vous de développer ?
Nous sommes actuellement en train de travailler sur les compétences à l'IAE de Nice. La première compétence serait de savoir développer les relations en interne et en externe. Concernant le secteur public, tout le monde a l'image du bureaucrate qui ne bouge pas de sa chaise alors que c'est faux. Il faut avoir la capacité d'aller travailler avec des services autres au sein de la collectivité publique, mais aussi de développer des relations avec d'autres collectivités territoriales ou même des organisations privées.
La deuxième compétence (et ce n’est pas exhaustif) est la capacité de s'ouvrir et de développer ses champs de connaissances. Ne pas rester dans son territoire confortable et essayer de voir ce qui se passe ailleurs, y compris en termes de connaissances et de méthodes. Il s’agit de ne pas rester dans la facilité.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots le Master 2 Management public ?
Le Master s'ouvrira à la rentrée sur 2 ans. Pour le Master 1 (M1) les cours seront en partie généralistes (éthique, GRH, comportement organisationnel…), en anglais (strategic marketing, financial reporting…), ou spécialisés (management public, droit des collectivités territoriales…) Les étudiants ont à réaliser un stage de 4 mois dans une structure en lien avec la sphère publique. Ils travailleront dès la première année avec les étudiants de Master 2 pour qu’ils voient comment les éléments s’articulent. Le M1 peut être suivi en formation initiale, continue ou contrat de professionnalisation.
Le Master 2 (M2) peut être effectué en contrat d'apprentissage, contrat pro ou formation continue. Les candidatures s'ouvrent au mois d'avril et les étudiants recherchent en même temps, un contrat d'apprentissage (pour les collectivités publiques ou privées) ou un contrat de professionnalisation (uniquement pour le privé). Le calendrier de l'alternance est de 3 semaines dans la structure et 2 semaines à l'université. Il y a 7 périodes de cours dans l'année, ce qui veut dire qu'il est possible d’avoir un contrat d'apprentissage à l'autre bout de la France. Actuellement, j'ai plus de propositions de contrats de la part des structures que d'étudiants.
Par exemple, nous allons avoir un étudiant en alternance au service RH d'une collectivité territoriale. Sa mission est de mettre en place le revenu à la source et d'assister le DRH de la collectivité sur les carrières des agents.
Nos promotions sont de 24 étudiants au maximum. Nous atteindrons notre rythme de croisière dès 2019. Les parcours des étudiants sont assez variés. Ils peuvent venir de filières très diverses comme LEA, Sciences Economiques, Droit, Sc. Po ou AES. Les promotions les plus riches sont celles dont les profils sont très hétérogènes.
Mot de la fin : quels conseils donneriez-vous à un lycéen qui veut s’orienter dans ce domaine ?
Nous regardons avec beaucoup de bienveillance les candidats qui ont déjà de l'expérience dans le domaine public ou dans le bénévolat. Le conseil que je peux leur donner c'est de multiplier les expériences dans ces domaines. Concernant la dimension formation, avoir une formation plutôt tournée vers le droit, l'économie, la gestion.
Merci David Huron d’avoir accepté notre invitation et pour le temps consacré.
Pour en savoir plus sur le Master Management Public de l’IAE de Nice : Master 1 et Master 2
(1) - Pierre-Charles PUPION, Hae-Ok PYUN, Kwang-Jaï YUN, Philippe DORBAIRE, David HURON, Jungho PARK & Yugang GUO, 2017, "De la motivation à l'engagement pour le service public : étude comparative entre la France, la Chine et la Corée du Sud", Management International, vol.21, n°2, p.60-79.
- David HURON & Grégory SPIETH, 2014, "Le rôle de l'usager-client dans la construction de la décision publique. Le cas des services de transport des communautés urbaines", Gestion 2000, vol.31, 2014/3, p.65-85.
- David HURON, 2013, "Le démarketing, instrument de politique énergétique des collectivités territoriales", in Droit et Gestion des Collectivités Territoriales, Collectivités territoriales et énergie : ambitions et contradictions, Le Moniteur, Paris, p.137-146.
- David HURON & Jacques SPINDLER (éd.), 2008, Le management public en mutation, Paris, L'Harmattan.
- David HURON, 2007, "Décisions et stratégies marketing", Paris, Gualino.